Par Mina Rakotoarindrasata, experte en Genre, SiMiralenta/Genre en Action, OVERDUE
Festo Dominic Makoba du Centre pour les Initiatives Communautaires (CCI ,Tanzanie), Mina Rakotoarindrasata de SiMiralenta/Genre en Action (Madagascar) et Angèle Koué (GEPALEF, Côte d’Ivoire) sont membres du projet OVERDUE et ont participé au 21ème Congrès international de l’Association Africaine de l’Eau et à la 7ème Conférence Internationale sur la Gestion des boues de vidange, organisés à Abidjan du 19 au 23 février 2023.
Dans ce blog, Mina Rakotoarindrasata de SiMiralenta/Genre en Action partage deux réflexions inspirées par son séjour à Abidjan.
1/ De l’utilité des coopérations entre le monde académique et professionnel pour un assainissement juste et inclusif
Le 21ème Congrès international de l’Association Africaine de l’Eau et la 7ème Conférence Internationale sur la Gestion des Boues de vidange ont mis en avant de nombreuses initiatives en faveur d’un assainissement inclusif qui combinent les efforts du monde académique, de la société civile et des autorités locales et nationales.
Par exemple, la deuxième phase du Programme ISC-Hub (Inclusive Sanitation Capacity Hub) – Programme de renforcement des capacités sur la gestion des boues de vidange et en assainissement urbain inclusif en Afrique francophone de l’Ouest et du Centre, vient d’être lancée.
Le but de ce programme est de promouvoir des services d’assainissement et de boues de vidange gérés de manière améliorée, sûre, équitable et durable. Pour y arriver, le programme favorise le partage d’expériences et l’apprentissage entre professionnel.les pour des pratiques, programmes et politiques d’assainissement inclusif plus adaptés aux besoins des villes africaines. Des instituts académiques et de recherche issus de 4 pays francophones (Côte d’Ivoire, Sénégal, Cameroun et Burkina Faso) sont impliqués en coordonnant et en mettant en œuvre les activités de renforcement de capacités sur le terrain.
Réagissant au lancement de cette initiative, une responsable du Ministère de l’Eau, de l’Assainissement et de l’Hygiène de Madagascar, qui est aussi Présidente des Ingénieur·es hydraulicien·es et enseignante à l’Ecole Polytechnique d’Antananarivo, a insisté sur l’importance des collaborations entre instituts supérieurs de formation.
Elle a fortement recommandé l’implication des Universités malgaches dans de telles initiatives afin d’éviter que les étudiant·es et les professionnel·les du pays soient déphasé·es par rapport aux dernières avancées visant l’atteinte des Objectifs de Développement Durable (ODD), notamment ceux visant à “garantir l’accès de tous à l’eau et à l’assainissement et assurer une gestion durable des ressources en eau” (ODD 6).
Le projet de recherche-action OVERDUE fournit un autre exemple de ce type de collaborations. Il fait travailler ensemble plus de onze organisations – universités et centres de recherches, associations féministes, ONG spécialisées sur l’eau et l’assainissement, basées à Madagascar, Côte d’Ivoire, RDC, Sierra Leone, Tanzanie, Mozambique, et Sénégal, pour un assainissement urbain juste.
A Madagascar, cette approche a notamment permis à SiMIRALENTA/Genre en Action de documenter la place des femmes dans le secteur formel de l’assainissement et d’analyser les liens entre genre, sécurité foncière et assainissement dans la Commune Urbaine d’Antananarivo.
Les premiers résultats ont orienté notre travail vers l’élaboration d’outils de sensibilisation à la base et d’outils de plaidoyer auprès des responsables des ministères et municipalités afin de mieux répondre aux défis en matière d’assainissement dans la ville d’Antananarivo.
Les incessants échanges entre les partenaires académiques et techniques des différentes villes du projet ont essentiels pour nous appuyer dans l’étape actuelle de notre action qui se focalise sur la prise en compte du genre dans la valorisation des boues de vidange dans la Commune Urbaine d’Antananarivo.
2/ De l’utilité des échanges de terrain pour un assainissement juste et inclusif
L’équipe OVERDUE présente à Abidjan a profité de son séjour pour venir en appui au projet de GEPALEF dédié au recyclage des boues fécales en compost et biogaz, avec une approche genre. GEPALEF mène cette initiative en collaboration avec des municipalités locales et l’Institut de l’Economie Circulaire d’Abidjan (IECA) dont la spécialité est de travailler sur des modèles économiques durables pour réduire le gaspillage des énergies et des ressources, rallonger la durée d’usage des biens de consommation et redonner une nouvelle vie aux déchets grâce à leur recyclage et leur valorisation.
Récit d’une balade en assainissement
Un matin, nous avons sillonné un quartier dans la Commune d’Attécoubé dans le District d’Abidjan. Ici, dans une cour commune, 17 familles se partagent une seule toilette et deux douches. Les femmes et les filles sont les plus impactées par cette situation, notamment lorsqu’elles ont leurs menstruations, en raison du manque d’infrastructures sanitaires mais également d’intimité. Elles doivent déborder d’imagination pour se débarrasser des serviettes hygiéniques usagées sans que les autres, et notamment les hommes, ne soient au courant. Souvent, les évacuations d’eaux usées sont bouchées et les habitant·es se débrouillent avec les moyens du bord : les eaux usées sont éliminées directement dans les canaux d’évacuation d’eaux usées aux alentours, qui se déversent dans le lac situé à proximité de la ville.
Tout au long de notre visite, nous avons senti les relents d’excréments émanant des dalles dans le quartier, alors qu’ici et là des femmes s’affairaient à faire frire des poissons et des bananes. L’idée initiale du projet de GEPALEF était de construire une station de traitement et de transformation des boues de vidanges à Agou, ce qui supposait d’organiser le transport de la matière première.
Confronté à la réalité du terrain, l’ingénieur en assainissement, Festo Dominic Makoba du CCI Tanzanie, a suggéré de valoriser, sur place, les boues de vidange issues de ce quartier. Il lui a semblé plus pertinent de mettre en place, sur une partie de la butte de la Commune d’Attécoubé, un biodigesteur qui traitera les boues de vidange issues des ménages situés aux alentours.
Un autre contenant pourrait y être accolé pour transformer les autres types de déchet comme les déchets ménagers ou les serviettes hygiéniques. Ainsi, le biogaz obtenu pourrait servir aux femmes vendeuses de poissons et bananes frits et les eaux qui se déverseront dans les canaux d’évacuation et le lac seront déjà traitées. GEPALEF a pris en compte cette recommandation pour ouvrir de nouvelles discussions et actions à Attécoubé.
La valorisation des boues de vidange fait également partie des objectifs de notre équipe à Antananarivo, capitale de Madagascar. Notre projet est de mettre en place un modèle concret de production et d’utilisation des produits dérivés du traitement des boues de vidange, avec une prise en compte systémique du genre.
Tout le temps de la visite à Abidjan et alentours, nous avons eu l’impression d’observer les mêmes réalités et problèmes que chez nous, surtout dans les “bas quartiers” (quartiers précaires). Nous allons donc poursuivre les échanges avec le projet Abidjanais pour inspirer le nôtre.
Toutefois, parce que “copier-coller” ne fonctionne pas dans la pratique, il nous faudra tenir compte des différences de contexte. Dans notre cas, nous avons choisi de collaborer avec la Société Municipale d’Assainissement qui gère déjà plusieurs Stations de Traitement de Boues de Vidange (STBV) dans la Capitale malgache. Il nous a paru plus judicieux de rattacher notre projet à une STBV dans le fokontany (la plus petite unité administrative du pays) d’Antanjombe Avaratra.
L’électricité, le biogaz et le compost produits par la STBV seront utilisés pour la cantine et le jardin scolaires d’une école primaire publique mitoyenne qui servira de site de démonstration de la valorisation des produits issus du traitement des boues de vidange.