Marcelle-Dominique Raveloarinanja (SiMIRALENTA), avec l’appui de Claudy Vouhé (L’être égale)
Du 21 au 24 juin 2023, des représentant·es de la Côte d’Ivoire, du Sénégal, de la Tanzanie et de Madagascar, se sont retrouvé·es à Antananarivo dans le cadre du projet Overdue Just Sanitation, pour une visite organisée par l’association malgache Similarenta/Genre en Action. Les équipes étaient réunies pour élargir leurs connaissances sur le “traitement et la valorisation des boues fécales pour un assainissement juste et inclusif dans les villes africaines”.
Des visites de nouvelles infrastructures sanitaires, de stations de traitement de boue de vidange … des kilomètres de ruelles arpentées en cinq jours. Tout au long de cette semaine, les membres d’Overdue sont allé·es à la rencontre de multiples acteurs de l’assainissement et de personnes dévouées travaillant hardiment pour garantir la gestion de tout ce qui a trait à l’hygiène. Des travailleurs ou travailleuses que le monde souvent méprise mais qui affrontent chaque jour bien des problèmes pour subvenir aux besoins de leurs familles et des résidents des quartiers populaires. Les équipes ont réfléchi ensemble pour trouver des solutions aux questions d’accès universel aux services d’hygiène et d’assainissement adéquates et durables ainsi qu’à l’égalité des genres.
Le défi permanent de l’assainissement
L’ex-province d’Antananarivo est la capitale de Madagascar. C’est une ville hétéroclite située dans les hautes terres centrales et nichée dans une cuvette marécageuse entourée de collines, avec un climat tropical caractérisé par des saisons chaudes et pluvieuses. Depuis 1975, la ville connaît un accroissement démographique assez significatif dû principalement à l’accélération de l’exode campagne-ville, conséquence directe des difficultés économiques du monde rural, et qui entraîne la prolifération des constructions spontanées et des dépôts sauvages d’ordures. Actuellement, 3,5 millions d’individus y vivent, majoritairement travailleurs et travailleuses du secteur informel.
Dans ce contexte, l’assainissement est un défi permanent à relever. Aux problématiques de la mise en œuvre du plan d’urbanisation viennent s’ajouter la dégradation des infrastructures préexistantes, la pratique récurrente de la défécation à l’air libre ou le rejet des déjections dans les canaux, à défaut de latrines publiques et/ou communautaires de proximité, ou encore la non-gratuité de l’accès aux infrastructures d’assainissement (par exemple les toilettes publiques)1. Les difficultés d’accès à la propriété foncière sécurisée, la déficience de l’offre de logements dignes et les caractéristiques socio-économiques vulnérables des quartiers des zones basses érigent la précarité de la ville entière et accentuent l’état sanitaire déjà déplorable de la population. Les effets notoires du changement climatique n’arrangent en rien toutes ces situations.
Qui pilote l’assainissement ?
Au niveau national, selon l’UNICEF (2020), le secteur de l’Eau, Hygiène et Assainissement se classait parmi les trois secteurs les moins dotés dans le budget de l’Etat (part inférieure à 2% du budget général), bien en deçà des engagements internationaux en la matière, notamment des objectifs de la déclaration de NGOR (2015).
Le contexte sociodémographique de la ville a conduit à des réformes dans le but de gérer les besoins grandissants en hygiène et assainissement en milieu urbain. Outre la loi relative à la décentralisation définissant les régions et les communes comme étant des collectivités décentralisées, la ville d’Antananarivo bénéficie d’un statut particulier et est classée « commune urbaine » selon la loi N° 94-009 du 26 avril 1995 et le décret N° 96-168 du 6 mars 1996.
Les réformes liées à l’assainissement sont essentiellement orientées vers des actions d’instauration et/ou de réhabilitation d’infrastructures : le « Canal vallée de l’Est » vers Marais Masay, les digues d’Andohatapenaka, les canaux d’évacuations d’Andriantany, d’Andramiarana et de Tsaramasay, ou encore la station de pompage d’Ambodimita gérée par l’Autorité pour la Protection contre les Inondations de la Plaine d’Antananarivo ou APIPA.
En 2017, la Communauté Urbaine d’Antananarivo (CUA) a créé la SMA, Société Municipale d’Assainissement. Avec les appuis technico-financiers des bailleurs de fonds, la Commune Urbaine met en place et supervise le fonctionnement de la SMA et des Stations de collecte et de Traitement des Boues de Vidange d’Ambatomaro, à Antanjombe Nord, de Mandrangombato et de Nanisana.
Le renforcement des capacités en termes de gestion communautaire compte aussi parmi ces réformes. Comme la collecte des déchets solides, la récupération des boues de vidange des foyers éloignés de l’axe principal où se trouvent les bennes à ordures sont confiées à des entités locales nommées « Rafitra Fitantanana ny Fako » (RF2) où femmes et hommes travaillent conjointement et « Rafitra Fitantanana ny Tay » (RFT) où les hommes sont en nombre supérieur. La gérance des blocs sanitaires, des lavoirs et des bornes fontaines est confiée à des associations locales, dont les membres sont essentiellement des femmes.
Inégalités de genre et faillites de l’assainissement : quel impact mutuel ?
Les enjeux de genre sont nombreux tout le long de la chaîne de l’assainissement à Antananarivo. Le pays a une Politique nationale de la promotion de la femme et d’un Plan d’Action National Genre et Développement (PANAGED) qui sert de cadre de référence dans tous les domaines depuis 2000. La municipalité a sa propre politique genre depuis plus d’un an. Pourtant, la dimension genre est encore timidement prise en compte dans les services d’assainissement et les femmes subissent de nombreuses discriminations.
Dans la ville, des cas de violences physiques, psychologiques, économiques ou sexuelles sont quotidiennement rapportés auprès des autorités locales (agents des quartiers mobiles ou cellules de veille, responsables du « Fonkontany », au centre d’écoute et d’accompagnement « Trano Aro Zo », au commissariat de police et à la gendarmerie). L’absence d’infrastructures sanitaires augmente la vulnérabilité au harcèlement sexuel et sexiste. Dans certains quartiers populaires, un accord tacite entre habitant·es veut que les hommes ne sortent pas après 20h, pendant un certain temps, pour laisser aux femmes le temps de faire leurs besoins et de se laver dehors “tranquillement”.
Les femmes et les filles sont en première ligne dès qu’il est question de difficultés d’accès aux services d’hygiène et aux services urbains de base du fait de leur précarité socio-économique. Elles ont un accès plus limité que les hommes aux crédits et l’acquisition de la terre est conditionnée par leur capacité financière. Elles sont donc plus exposées encore que les hommes à la paupérisation et vivent dans les logements les plus précaires, avec un accès quasi nul à l’assainissement, avec une vulnérabilité accrue face aux aléas climatiques et aux défis sécuritaires. Ce cercle vicieux a été évoqué dans tous les échanges avec les partenaires du projet.
La prédominance des croyances, des tabous, des cultures et les us et coutumes croisent les questions de genre. Par exemple, des femmes sont mal à l’aise de laisser leurs protections périodiques souillées dans les toilettes publiques, par crainte de sorcellerie. Les tabous sont exprimés par le silence. “5 ans que je suis dans cette université, et je n’ai jamais utilisé les toilettes, c’est trop sale. On se retient où on va dehors, on se fait accompagner d’une copine pour être en sécurité. On fait avec, on a l’habitude, on ne revendique pas, on n’en parle pas. Quand on a nos menstrues, c’est vraiment compliqué” ont confié des étudiantes de l’Université à l’équipe d’Overdue. Leurs collègues masculins écoutaient, un peu ébahis. Ils ne s’étaient jamais posé la question de “comment font les filles ?”.
Les rapports de genre sont très hiérarchisés et inégaux à Madagascar. A cause de la pauvreté et de leur statut inférieur, les filles des familles pauvres quittent l’école très tôt et sont exposées aux grossesses précoces et aux violences. L’absence de toilettes dans les écoles primaires et secondaires n’arrange rien. À Madagascar comme dans de nombreux pays du monde, le tabou des règles a des conséquences dramatiques sur la vie des femmes et des filles. Elles sont nombreuses à manquer des jours d’école lorsqu’elles ont leurs règles, ce qui peut entraîner à long terme un décrochage scolaire.
Le nombre de femmes seules avec enfants est important dans les quartiers populaires. Seules ou en couple, les femmes sont celles qui assument les tâches domestiques du quotidien et en portent la charge physique et mentale. Quand elles travaillent dans le quartier, comme les lavandières rencontrées au Bassin Anatihazo, elles restent largement tributaires d’une eau propre trop rare et trop chère, et travaillent dans un environnement pollué, au-dessus du canal où se déversent toutes les eaux usées du quartier. Les aménagements réalisés restent marginaux.
Enfin, la présence des femmes diplômées aux postes de décisions reste très faible, même si de plus en plus de femmes entrent dans le domaine de l’assainissement autrefois réservé aux hommes. Les entreprises d’assainissement dirigées par des femmes sont rares et de nombreux préjugés les gardent encore à l’écart.
Un long chemin vers l’assainissement juste et équitable
Bien que la Constitution et les textes législatifs garantissent les droits humains à Madagascar, les droits réels sont loin d’être une réalité. Des facteurs conjoncturels et structurels constituent des blocages, mais ce sont aussi des questions de gouvernance, comme la corruption, qui entravent l’application effective des lois, y compris celles relatives à l’égalité de genre. Madagascar est parmi les cinq pays d’Afrique n’ayant pas encore ratifié le Protocole à la Charte Africaine des droits de l’homme et des peuples, relatif aux droits de la Femme en Afrique (Protocole de Maputo, 2003). En revanche, le pays souscrit aux Objectifs de Développement Durable (ODD) : l’ODD 5 relatif à l’égalité de genre et l’ODD 6 qui porte sur l’eau et l’assainissement (notamment la cible 6.2 : D’ici à 2030, assurer l’accès de tous, dans des conditions équitables, à des services d’assainissement et d’hygiène adéquats et mettre fin à la défécation en plein air, en accordant une attention particulière aux besoins des femmes et des filles et des personnes en situation vulnérable). Alors ?
Les enjeux de genre repérés par l’équipe de Similarenta/Genre en Action à Antananarivo font écho aux enjeux signalés par les autres pays du projet. L’égalité de genre en tant que droit humain est en souffrance. A Antananarivo comme ailleurs, la dimension genre doit figurer dans l’analyse des questions et les politiques et budgets d’assainissement de même que dans le renforcement de la participation citoyenne, de la responsabilisation de la population et le plaidoyer pour des quartiers urbains salubres et pour une urbanisation suivant les normes d’hygiène pour une ville saine.