De la prise en compte du genre dans la réhabilitation et l’entretien quotidien des toilettes publiques

Un projet conçu et mené à bien par le Cordon des Femmes Congolaises pour l’Equilibre des Ménages/Genre en Action (CFCEM/GA), avec l’ISECOF, partenaires OVERDUE à Bukavu

L’absence de toilettes publiques est un défi pour les habitant.es de Bukavu
Toilettes publiques: un besoin urgent à Bukavu, film produit par le CFCEM/GA

Contexte

La ville de Bukavu est située dans la province du Sud Kivu, à l’Est de la République Démocratique du Congo. Cette province est caractérisée par l’exode rural et l’afflux des ruraux vers la ville de Bukavu, fuyant l’insécurité  permanente occasionnée par différents milices et groupes armés. Ces populations qui viennent ainsi des villages n’ont d’autres moyens de survie que la débrouillardise par le petit commerce ambulant ou au niveau de différents marchés de la ville. La majorité des personnes qui font ce petit commerce est constituée de femmes et de jeunes filles.

Les vendeuses ambulantes comme celles qui sont aux différents marchés e la ville, se heurtent à un problème sérieux, celui de l’absence des toilettes publiques.  Au niveau des marchés où on peut trouver quelques latrines, les femmes et les filles réfléchissent par deux fois pour y accéder, compte tenu de leur état de propreté déplorable et non hygiénique.

Bien que l’égalité entre les genres implique l’égalité des droits, des responsabilités et des possibilités pour les hommes, les garçons, les femmes et les filles de s’épanouir, ces dernières sont touchées de façon disproportionnée par des inégalités persistantes en matière d’accès aux infrastructures sanitaires, telles que les latrines publiques. Ces sanitaires ne sont pas entretenus comme il se doit.

Le projet

Le CFCEM/GA a eu pour soucis prioritaire l’amélioration des conditions  hygiéniques et d’accès aux toilettes publiques du marché de Nyawera, en les réhabilitant avec un accent mis sur le genre. Ceci a été décidé après des entretiens avec les vendeuses de ce marché,  le gérant et le comité des vendeurs. Le CFCEM/GA s’est en particulier attaché à répondre aux besoins spécifiques des femmes et des jeunes filles.

Le projet, bénéficiant d’un financement du projet OVERDUE, a pu démarrer après la signature d’un accord de partenariat avec la municipalité de Bukavu, qui a la responsabilité des marchés urbains.

Le processus

La réhabilitation des toilettes du marché de Nyawera par le CFCEM/GA s’inscrit dans un processus de recherche-action qui a d’abord mis en évidence les besoins des vendeur.ses et client.es en matière d’assainissement avant d’élaborer une intervention stratégique pour réengager les autorités publiques.

2021-2022: L’équipe du CFCEM/GA et de l’ISECOF a documenté les conditions d’assainissement à Bukavu et en particulier de l’état des toilettes du marché de Nyawera

Octobre 2022 : élaboration du projet de réhabilitation en concertation avec le bourgmestre et les vendeur.ses du marché de Nyawera.

Novembre 2022 : Pour célebrer la Journée mondiale des toilettes, le CFCEM/GA a organisé une caravane motorisée avec dix voitures qui a traversée toute la ville. Nous en avons profité pour faire un plaidoyer auprès du Maire de la ville, à qui nous avons remis un texte invitant l’autorité municipale à s’impliquer, pour qu’il y ait des toilettes publiques dans la ville de Bukavu. Un point de presse avec tous les médias de la ville de Bukavu, médias en ligne, télévisés et radio diffusés, puis une émission avec Radio Okapi Kinshasa, ont permis de donner de la visibilité à la question. L’activité a eu un impact considérable dans la ville, la province et le pays.

Novembre 2022: recrutement de la main d’œuvre pour la réhabilitation, dont des maçons,  aides maçon, ferronniers, peintres, et plombiers. Il fut impossible de trouver des femmes exerçant ces métiers à Bukavu mais l’équipe a pu néanmoins recruter une superviseuse, pour assurer le déroulement des travaux.

Décembre 2022: achat et stockage des matériaux : ciment, sable, fers à béton, planches, clous.

Janvier-Février 2022: réalisation des travaux dont le creusage et la consolidation des fosses. Les travaux ont avancé plus vite que prévu, les travailleurs étant hyper motivés par le projet.

Février 2022: Inauguration des toilettes genrées réhabilitées avec la municipalité, le comité de gestion du marché, les vendeur.ses et les membres du CFCEM/GA. La fréquentation a immédiatement augmenté, et s’est révélée bien supérieure à celle des toilettes pré-réhabilitation.

Mars-Avril 2022 : ajout d’autres goutières pour maximiser la récupération de l’eau de pluie et l’approvisionnement des tanks pour l’entretien des toilettes.

Trois personnes, deux jeunes femmes et un homme, sont engagées à temps plein pour le nettoyage quotidien des toilettes. Les femmes sont des filles-mères qui n’avaient aucune ressource pour vivre et faire vivre leurs enfants. Depuis qu’elles ont ce travail, elles sont très épanouies. Le monsieur quant à lui, s’occupe du nettoyage des toilettes fréquentées par les hommes.

Film produit par le CFCEM/GA sur les toilettes du marché de Nyawera avant leur réhabilitation
Plaidoyer du CFCEM/GA à l’occasion de la Journée Mondiale des Toilettes 2022
Les toilettes du marché de Nyawera avant réhabilitation
Caravane pour un assainissement juste à Bukavu organisé par le CFCEM/GA à l’occasion de la journée mondiale des toilettes 2022
Réhabilitation en cours du toit des toilettes du marché de Nyawera
Superviseuse recrutée par le CFCEM/GA pour mener à bien les travaux
Inauguration des toilettes du marché de Nyawera

 Mise en perspective

Les  objectifs de développement durable convenus par 193 pays en 2015, visaient à atteindre l’accès universel des services d’assainissement et d’hygiène adéquats dans des conditions équitables, en accordant une attention particulière aux besoins des femmes et des filles, mais aussi des personnes vulnérables. Ceci devait éliminer toutes sortes de discrimination et de violences vis à vis des femmes et des filles.

Les toilettes adaptées aux besoins des femmes et des filles sont censées leur offrir un espace intime, un lieu sûr, accessible à tout moment, abordable financièrement, et bien géré. Elles doivent permettre une bonne gestion de l’hygiène menstruelle, car les difficultés d’accès à des toilettes propres et adaptées pendant les règles entrainent chez les filles et femmes, gène et stress.

Au départ,  au marché public de Nyawera, il n’y avait pas de portes réservées aux femmes. Il n’y avait pas de poubelle, pas de portes manteaux où les femmes pouvaient accrocher leurs sacs à mains. Il n’y avait pas de douche.

Maintenant, depuis la réhabilitation, tout cela existe. Dans deux toilettes, il y a même un miroir accroché au mur, pour celles qui voudraient arranger leur maquillage. Tout cela engendre une grande satisfaction des femmes.

Des icônes sur les portes indiquent les toilettes pour femmes et celles pour hommes. Il arrive néanmoins que les hommes fréquentent les portes réservées aux femmes, lorsqu’ils trouvent que toutes leurs portes sont occupées. Ils parviennent à s’imposer et passer outre le règlement.Par ailleurs certaines femmes se montrent encore réticentes pour fréquenter les toilettes publiques du fait de mauvaises expériences passées. Mais la situation a beaucoup évolué dans un sens favorable.

Entre autres impacts, le CFCEM/GA a reçu une lettre de félicitation de la part du comité des syndicats de tous les marchés de la ville, nous demandant d’effectuer le même travail de réhabilitation dans ces marchés.

La Mairie de Bukavu a également sollicité l’équipe pour la réhabilitation des toilettes de la prison centrale. Le CFCEM/GA est ainsi pionnier dans la réhabilitation des toilettes dans la ville de Bukavu, et d’autres commencent à nous emboiter le pas. C’est le cas du ministre du budget du gouvernement national qui a décidé de réhabiliter les toilettes du marché central de Kadutu, et même de construire des portes supplémentaires. Avant notre intervention, les autorités ne songeaient pas à réhabiliter les toilettes. Le chef de quartier Ndendere avait même affirmé que dans sa réunion du budget participatif, la population de son entité ne trouvait pas les toilettes publiques prioritaires, elle préférait la construction d’escaliers. Cela tenait en partie au fait que la réunion était à majorité composée d’homme, qui peuvent facilement faire pipi sur le trottoir. En définitive, notre plaidoyer a porté ses fruits et continue de faire son chemin.

Contacts

Cette initiative est mise en oeuvre par l’le CFCEM/GA, avec l’ISECOF, et le soutien financier d’OVERDUE. Pour plus d’information, contacter:

Astrid Mujinga :mujinga_nzambi@yahoo.fr ;cfcemga@gmail.com

Caroline Kamuanya

Daniel Muamba

Nathalie Tshitolu